Six semaines en Allemagne | Réécriture |
Par : Non-Lus
Genre : Réaliste
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 5
Loin d'ici...
Publié le 30/11/15 à 21:21:24 par Non-Lus
— Elle est ici !!
Adossé aux pieds d’un carton, la photographie que Julia cherchait désespérément. Elle s’empressa de saisir l’objet précieux, et y contempla chaque recoin. Ses lèvres formèrent alors un grand sourire capable, presque, d’illuminer notre petit salon. Ce que je venais de lui raconter me laissait un goût amer. En y réfléchissant, les institutions de cette ville avaient, vraiment, essayé d’avoir ma peau.
Avec entrain, Julia s’avança vers le mur où se trouvait l’un de nos tableaux. Celui-ci, en particulier, était un montage d’images qu’elle avait réussi à capturer, au fil de notre relation. Elle y accrocha sa nouvelle trouvaille, avant de reprendre ses aises sur le canapé.
— Tu as l’air fatigué.
— Oui. Je crois que c’est les cartons qui me font tourner la tête !
— Et peut-être le vin que tu as acheté, non ?
Elle bougea la tête de droite à gauche, lentement, avant d’éclater de rire un court instant. Elle revint vers moi en s’excusant d’avoir coupé la conversation, puis m’interrogea sur le fait que je ne buvais que très peu du vin qu’elle m’avait servi. Évitant de lui dire la vérité sur son ignoble boisson, je ne répondis pas. Très mauvaise idée. Julia saisit la bouteille et déversa ses dernières gouttes, à mon grand désespoir. « Il faut finir ! ». Soit. Je soupirai.
Il fallait que je trouve un moyen de ne plus subir ce calvaire. « Vite, réfléchis… Ah oui ! JE SAIS ! », me dis-je précipitamment.
— Vu que tu es exténuée, Julia, nous continuerons de déballer les cartons demain.
— Mais tu me racontais...
— Je continuerai à l’occasion, ne t’inquiète pas.
Julia hésita d’abord, puis commença à marcher vers la chambre à coucher. Remarquant que je ne la suivais pas, elle m’adressa l’un de ses regards interrogateurs. Je pointai alors le doigt vers le verre, la laissant supposer que je devais encore le finir. Et, dans la pénombre du salon, il ne resta que ce dernier verre de rouge. Je le déversai dans l’évier, situé sous la fenêtre. Les yeux rivés sur un ciel nocturne, je m’attardai un instant. J’observai cet astre argenté, abandonné dans sa splendeur. Ses lueurs ricochèrent doucement sur le verre de vin, tout juste vidé de son contenu. Seul témoin de mon crime, il resta figé dans l’obscurité, avant de laisser des nuages, opportunistes, dérober les derniers éclats de la nuit.
Je tournai la tête vers le canapé, là où Julia avait laissé ma vieille photo de famille. J’y repensai. Cette image avait été prise quelques semaines après cet entretien scolaire abominable. Ensuite… Le départ en Allemagne, ou plutôt, l’inconnu. Je me souvins alors de notre voyage, de l’ennui et surtout, du temps. Il pleuvait…
Dans la voiture, je suivais du regard les petites gouttes de pluie. Elles virevoltaient sur le pare-brise puis, se multipliaient en sillons, s’évitant d’abord, avant de s’entrechoquer. J’en étais réduit à les observer, sur cette route interminable.
Nous nous dirigions vers une ville du sud de l’Allemagne. C’était là, que m’attendait la famille d’accueil soigneusement sélectionnée par ma mère. Six. Longues. Semaines. C’était tout ce qu’elle avait pu me faire comprendre. Je n’en croyais pas mes yeux. Moi. En Allemagne. Quelle idée ! J’étais si loin d’être capable de prononcer, ne serait-ce qu’une seule phrase correctement. Alors, dans ce cas, autant ne rien dire. Attendre que cela passe. Ce foutu voyage… Et dire qu’il fut un temps, où je pensais que tout irait mieux.
Les pneus grincèrent lentement. Nous y étions. Autour de nous, des maisons à l’ossature de bois, respirant le conservatisme et le pittoresque. Une petite ville allemande, que l’on voyait généralement dans les reportages télévisés. Les rues étroites rejoignaient de multiples petites places et, transperçant la cité de toute part, un fleuve, sinueux. Nous traversions les magasins locaux et les passants à peine souriants, dans une cité qui semblait avoir lutté corps et âme contre la modernité.
Ma mère s’empressa de m’engouffrer dans ses entrailles. Elle m’expliqua en détail toute son histoire (oui, elle s’était renseignée), et tenta même de me faire comprendre « la chance de se retrouver ici ».
Pour corroborer ses propos, elle nous arrêta aux abords d’une terrasse, le temps d’une courte pause près du fleuve. J’aperçus, en son milieu, une petite île, où dormaient des dizaines de jeunes Allemands qui devaient, sûrement, mal encaisser une soirée de la veille. Un serveur s’approcha de nous, en me demandant ce que je voulais boire. Je commençai alors une phrase en français, avant de me faire interrompre.
— Florian, tu es en Allemagne maintenant ! Tu dois donc commander en allemand.
Elle m’agaçait. Je réitérai ma demande, devant un serveur abasourdi.
— Heu… Coca ? Co-ca !?
Il resta silencieux quelques secondes, en me regardant fixement. Sa bouche, d’abord horizontale, forma soudain un grand sourire et c’est enthousiaste qu’il s’empressa d’aller chercher nos commandes.
— Les gens sont étranges ici maman…
— Mais non, pas du tout mon fils. Arrête un peu de te plaindre !
Il revint vers nous et, précipité, me servit une immense chope, remplie du soda que j’avais demandé. Qu’est-ce que c’était que ça ? Le serveur s’en alla. Je regardai le petit sirop à la menthe de ma mère, sans rien comprendre.
— C’est ça, l’Allemagne ? Tu demandes un coca et on t’apporte de quoi hydrater la moitié de la population mondiale ?
— Je t’ai dit d’arrêter de te plaindre Florian !
Autant l’avouer tout de suite, je ne réussis pas à terminer ce « verre ». Après cela, nous rentrions dans la voiture à nouveau. C’était à l’intérieur, une fois les portières verrouillées, que ma mère m’annonça notre destination finale. À trente minutes d’ici, un petit village bordant une immense forêt. C’est tout. Ma famille d’accueil avait réussi l’exploit de vivre dans une région plus campagnarde que la mienne ! Mais pourquoi donc avoir préféré cette famille précisément ? J’imaginai ma mère, choisir l’endroit sur une liste, en se faisant la réflexion suivante « Je vais éviter de dépayser mon fils. Il habitera dans une région rurale, comme à la maison ! ». Oui, voilà, c’était sûrement ça.
J’observai mon environnement avec dégoût. Toutes ces fermes. Tous ces champs. Un vrai cauchemar. Pourtant, c’était ici qu’elle décida d’arrêter la voiture. Précisément, devant une ferme, accompagnée de son petit jardin et d’une cour intérieure. Nos pieds foulèrent le gravier, et nous fîmes quelques pas, jusqu’à s’immobiliser devant la porte d’entrée. À mon grand désespoir, je suivis du regard son doigt, s’appuyant sur la sonnette. Impossible qu’elle me laisse ici. Non. Je pouvais encore faire marche arrière. Ce séjour, il fallait l’annuler ! Que ferait-elle, si je ne parlais pas allemand ? Que ferait-elle, si je ne me rendais pas à ces cours intensifs ? Que ferait-elle, si je ne sortais pas ? Si je ne faisais rien, tout simplement ? Oui ! C’était cela, la solutio…
— Applique-toi durant ces six semaines Florian, c’est avec tes économies que ce séjour a été payé après tout.
— QUOI !?
— Nous n’avions pas les moyens de faire autrement !
Je serrai les poings. Elle avait osé utiliser mon argent, pour une connerie pareille. C’était enragé, que je m’apprêtai à déverser, dans un cri, toute ma haine. Mais la porte, s’ouvrant alors, m’en dissuada. Un quinquagénaire se tenait devant nous. Il portait une salopette avec des bretelles brunes, qui lui donnait un air de grand ourson. Sa moustache jouait avec le grand sourire – un peu niais - qu’il nous adressait. Ma mère et cet inconnu se mirent à discuter en allemand, pendant que nous entrions dans sa ferme. À l’intérieur, je distinguai quelques photos sur les murs, pour la plupart, des agriculteurs posant fièrement devant des champs, le tout en noir et blanc. Et je m’évadai. Encore. M’imaginant dans une autre réalité. Loin d’ici. Ma mère s’arrêta de parler avec le quinquagénaire et se mit à lui serrer la main. Elle se tourna ensuite vers moi, en lançant, la voix crispée :
— Bon, Florian…
Je la regardai avec étonnement, la laissant m’enlacer dans ses bras, sans y croire encore vraiment.
Mais, quelques secondes plus tard, je n’entendis plus que le moteur de sa voiture vrombir au loin, sur la seule route du village. Elle était partie. Me faisant difficilement une raison, je tournai la tête vers le propriétaire. Il s’avança, la mine grave. Je ne dis rien. Il tendit sa paume vers moi. Et, alors que je m’apprêtai à le saluer, il me lança avec entrain :
— Ich heisse Friedrich !
Cela voulait dire qu’il s’appelait Friedrich. Quel prénom. J’essayai de lui répondre, avec difficulté.
— Ich…… heisse…….. Florian.
— Oh !? FLORIANE ?
— Heu… non non, Flo…..riAN
— Flo….rrrrian !!!
N’ayant pas le courage de le corriger davantage, je le laissai me parler très longuement en allemand. Inutile d’expliquer, évidemment, ce que j’en comprenais en hochant la tête. Il fit une pause, puis de grands signes pour que je le suive. Je m’exécutai. Nous visitions l’appartement de Friedrich. Cette ferme était composée de trois étages, distincts, appartenant chacun à un membre de la famille. Chaque porte, rongée par le temps, s’ouvrait en grinçant. L’une d’elles, menait à un placard à chaussure qui, une fois ouvert, nous laissait profiter d’effluves cumulés de pieds transpirants. Comme conseillé par Friedrich, mes baskets rejoignirent leurs pairs. Un peu dégoûté, je continuai de le suivre, jusqu’à la cuisine. C’était l’une des pièces principales de la ferme. Bien que classique, elle dévoilait toute la forêt à l’extérieur, donnant le sentiment d’être en pleine nature, loin de tout. La bulle de Friedrich, en somme.
Ce « père d’accueil » m’expliqua les règles de la maison à l’aide d’un petit papier, contenant les horaires de bus et les heures de repas. Il me confia aussi la clé de la ferme, en m’informant, solennellement, devoir le prévenir si je rentrais après 19h00. Mais que ferais-je jusqu’à 19h00 en Allemagne ? Pensai-je, dubitatif.
Et soudain, l’espoir. Je pus déceler, à ma droite, une petite pièce, avec un meuble, où dormait un clavier d’ordinateur. Le Graal ! Peut-être que ces six semaines allaient se passer plus vite que je ne le pensais finalement. Je sautai sur l’occasion :
— PC ? Heu… Internet ? Heu…
Il me regarda, puis haussa les sourcils, avant de s’écrier :
— COMPUTER ?????
Je risquai de hocher la tête à nouveau. Celui-ci me prit par le bras, pour m’emmener devant l’appareil. Il me montra ensuite, fièrement, un ordinateur poussiéreux. En me concentrant de toutes mes forces, j’essayai de le comprendre. Il m’expliqua avoir acheté cet ordinateur à sa fille, afin qu’elle puisse faire quelques exposés scolaires. Maintenant qu’elle avait grandi, la machine n’intéressait plus personne, surtout depuis qu’ils n’avaient plus Internet. En revanche, si je voulais l’utiliser, il n’y avait pas de soucis. Mais bien sûr, Friedrich…
J’entendis des pas derrière nous. En me retournant, j’aperçus le reste de la famille d’accueil. Sa femme se présenta à moi, ainsi que sa fille. Je me rappelai des paroles de ma mère, m’aidant ainsi à comprendre leur charabia. Le père journaliste. La fille, qui fait des études de médecine. La femme de Friedrich, qui s’occupe de la maison. Extasiée par ma présence, la femme de Friedrich me servit un verre de jus de pomme. Ils se tenaient ensuite là, tous les trois, en scrutant ma façon de goûter leur boisson. Et, lorsque mes lèvres touchèrent le liquide, je sus dans l’instant que le finir serait difficile. Ce n’était pas un jus de pomme comme les autres. Elle avait ajouté du gaz à l’intérieur ! Du…Jus de pomme…Gazéifié !! Je fronçai les sourcils. Comment disait-on « QUAND AS-TU PENSÉ QUE C’ÉTAIT UNE BONNE IDÉE DE METTRE DU GAZ DANS DU JUS DE POMME ! » en allemand ? Je ne le savais pas, malheureusement. Bon sang, quel était leur problème à ces Allemands. Entre l’immense chope de coca et maintenant cela, j’avais peur pour la suite.
D’un air bienveillant, Friedrich me guida vers le dernier endroit visitable, à savoir, ma chambre d’accueil. Je m’aventurai donc dans la pièce, composée d’un lit simple, un petit bureau, une armoire et… C’est tout. Il continua de me parler en allemand, sans que je ne comprenne quoi que ce soit. Puis, ferma la porte derrière lui, me laissant seul dans ma nouvelle cellule.
Je déposai le bout de papier qu’il m’avait donné sur le bureau, sans y prêter plus d’attention. Les horaires de bus, de cours, ou quoi que ce soit d’autres ici ne m’intéressaient pas. Je saisis ma valise, pour la jeter sur le lit. Lentement, je l’ouvris, découvrant ainsi son contenu. C’était sans grande conviction que je l’avais préparé. Toutes mes affaires avaient été placées de façon hasardeuse à l’intérieur et, remarquant mes habits froissés, je regrettai soudain ma nonchalance maladive. J’y trouvai, également, une enveloppe, accompagnée d’un « À dépenser judicieusement » sur sa face avant. À l’intérieur, 800€. Tiens, mon argent, j’avais presque oublié.
Je me laissai tomber sur le lit, en soupirant. Qu’est-ce que je faisais ici, seul et entouré d’inconnus ? Ah oui, il y avait aussi cette classe que je devais rencontrer demain. J’imaginais déjà le scénario se reproduire. La cour « des perdus ». Avoir un style, obligatoirement. Les castes. Les moqueries. Subir, subir, subir. Toujours. Encore. À chaque fois. Rah ! Je relevai la tête. Personne ne me connaît ici, songeai-je alors. Comment pourraient-ils savoir ce qu’il m’était arrivé ? Mon état d’esprit ? Demain allait être une longue journée, mais je pouvais faire en sorte d’être discret. Je pouvais être… Quelqu’un d’autre. Je fixai alors l’intérieur de ma valise avec attention. Oserai-je seulement…
Depuis combien de temps était-il au fond de ce gouffre ? Après avoir essayé, sans succès, de se détacher des chaînes qui le retenaient là, il s’était résolu à supporter sa condition. L’ambiance était étrange depuis l’apparition de son alter ego. Quelque chose le troublait.
— Hey !
— Quoi ?
— Pourquoi tu n’as pas de lunettes ?
Il se mit à ricaner de façon narquoise, ne prenant pas la peine de se retourner, trop occupé, à analyser Florian face à sa valise. Il prit la parole.
— Tu sais pourquoi il reste fixé là ?
— Parce qu’il est triste !
Il pouffa de rire.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.
— Regarde attentivement la valise !
Il s’exécuta, en s’éloignant des murs froids, pour découvrir l’écran à son tour. Puis, il comprit.
— Il...
— Oui. Il les a pris avec lui.
Il quitta des yeux la scène, laissant ainsi son double arrogant s’enthousiasmer sur le vrai monde. Il s’assit à nouveau. Saisissant ainsi le vide sombre, par lequel il était tombé. Il ne comprenait pas Florian.
— Pourquoi ne le remarque-t-il pas ?
Son double resta silencieux.
— Pourtant, il le sait, n’est-ce pas ?
Il se détourna de l’écran, en lui adressant un cinglant « De quoi tu parles !? ».
— Nous sommes coincés ici. Quoi qu’il arrive. Pour toujours.
Sans prêter attention à cette remarque, il reprit son observation, les mains derrière le dos, tandis que l’autre posa sa tête contre la paroi. Puis, le silence revint, à peine perturbé, de temps en temps, par le bruit métallique, des chaînes qui les détenaient là…
Adossé aux pieds d’un carton, la photographie que Julia cherchait désespérément. Elle s’empressa de saisir l’objet précieux, et y contempla chaque recoin. Ses lèvres formèrent alors un grand sourire capable, presque, d’illuminer notre petit salon. Ce que je venais de lui raconter me laissait un goût amer. En y réfléchissant, les institutions de cette ville avaient, vraiment, essayé d’avoir ma peau.
Avec entrain, Julia s’avança vers le mur où se trouvait l’un de nos tableaux. Celui-ci, en particulier, était un montage d’images qu’elle avait réussi à capturer, au fil de notre relation. Elle y accrocha sa nouvelle trouvaille, avant de reprendre ses aises sur le canapé.
— Tu as l’air fatigué.
— Oui. Je crois que c’est les cartons qui me font tourner la tête !
— Et peut-être le vin que tu as acheté, non ?
Elle bougea la tête de droite à gauche, lentement, avant d’éclater de rire un court instant. Elle revint vers moi en s’excusant d’avoir coupé la conversation, puis m’interrogea sur le fait que je ne buvais que très peu du vin qu’elle m’avait servi. Évitant de lui dire la vérité sur son ignoble boisson, je ne répondis pas. Très mauvaise idée. Julia saisit la bouteille et déversa ses dernières gouttes, à mon grand désespoir. « Il faut finir ! ». Soit. Je soupirai.
Il fallait que je trouve un moyen de ne plus subir ce calvaire. « Vite, réfléchis… Ah oui ! JE SAIS ! », me dis-je précipitamment.
— Vu que tu es exténuée, Julia, nous continuerons de déballer les cartons demain.
— Mais tu me racontais...
— Je continuerai à l’occasion, ne t’inquiète pas.
Julia hésita d’abord, puis commença à marcher vers la chambre à coucher. Remarquant que je ne la suivais pas, elle m’adressa l’un de ses regards interrogateurs. Je pointai alors le doigt vers le verre, la laissant supposer que je devais encore le finir. Et, dans la pénombre du salon, il ne resta que ce dernier verre de rouge. Je le déversai dans l’évier, situé sous la fenêtre. Les yeux rivés sur un ciel nocturne, je m’attardai un instant. J’observai cet astre argenté, abandonné dans sa splendeur. Ses lueurs ricochèrent doucement sur le verre de vin, tout juste vidé de son contenu. Seul témoin de mon crime, il resta figé dans l’obscurité, avant de laisser des nuages, opportunistes, dérober les derniers éclats de la nuit.
Je tournai la tête vers le canapé, là où Julia avait laissé ma vieille photo de famille. J’y repensai. Cette image avait été prise quelques semaines après cet entretien scolaire abominable. Ensuite… Le départ en Allemagne, ou plutôt, l’inconnu. Je me souvins alors de notre voyage, de l’ennui et surtout, du temps. Il pleuvait…
Dans la voiture, je suivais du regard les petites gouttes de pluie. Elles virevoltaient sur le pare-brise puis, se multipliaient en sillons, s’évitant d’abord, avant de s’entrechoquer. J’en étais réduit à les observer, sur cette route interminable.
Nous nous dirigions vers une ville du sud de l’Allemagne. C’était là, que m’attendait la famille d’accueil soigneusement sélectionnée par ma mère. Six. Longues. Semaines. C’était tout ce qu’elle avait pu me faire comprendre. Je n’en croyais pas mes yeux. Moi. En Allemagne. Quelle idée ! J’étais si loin d’être capable de prononcer, ne serait-ce qu’une seule phrase correctement. Alors, dans ce cas, autant ne rien dire. Attendre que cela passe. Ce foutu voyage… Et dire qu’il fut un temps, où je pensais que tout irait mieux.
Les pneus grincèrent lentement. Nous y étions. Autour de nous, des maisons à l’ossature de bois, respirant le conservatisme et le pittoresque. Une petite ville allemande, que l’on voyait généralement dans les reportages télévisés. Les rues étroites rejoignaient de multiples petites places et, transperçant la cité de toute part, un fleuve, sinueux. Nous traversions les magasins locaux et les passants à peine souriants, dans une cité qui semblait avoir lutté corps et âme contre la modernité.
Ma mère s’empressa de m’engouffrer dans ses entrailles. Elle m’expliqua en détail toute son histoire (oui, elle s’était renseignée), et tenta même de me faire comprendre « la chance de se retrouver ici ».
Pour corroborer ses propos, elle nous arrêta aux abords d’une terrasse, le temps d’une courte pause près du fleuve. J’aperçus, en son milieu, une petite île, où dormaient des dizaines de jeunes Allemands qui devaient, sûrement, mal encaisser une soirée de la veille. Un serveur s’approcha de nous, en me demandant ce que je voulais boire. Je commençai alors une phrase en français, avant de me faire interrompre.
— Florian, tu es en Allemagne maintenant ! Tu dois donc commander en allemand.
Elle m’agaçait. Je réitérai ma demande, devant un serveur abasourdi.
— Heu… Coca ? Co-ca !?
Il resta silencieux quelques secondes, en me regardant fixement. Sa bouche, d’abord horizontale, forma soudain un grand sourire et c’est enthousiaste qu’il s’empressa d’aller chercher nos commandes.
— Les gens sont étranges ici maman…
— Mais non, pas du tout mon fils. Arrête un peu de te plaindre !
Il revint vers nous et, précipité, me servit une immense chope, remplie du soda que j’avais demandé. Qu’est-ce que c’était que ça ? Le serveur s’en alla. Je regardai le petit sirop à la menthe de ma mère, sans rien comprendre.
— C’est ça, l’Allemagne ? Tu demandes un coca et on t’apporte de quoi hydrater la moitié de la population mondiale ?
— Je t’ai dit d’arrêter de te plaindre Florian !
Autant l’avouer tout de suite, je ne réussis pas à terminer ce « verre ». Après cela, nous rentrions dans la voiture à nouveau. C’était à l’intérieur, une fois les portières verrouillées, que ma mère m’annonça notre destination finale. À trente minutes d’ici, un petit village bordant une immense forêt. C’est tout. Ma famille d’accueil avait réussi l’exploit de vivre dans une région plus campagnarde que la mienne ! Mais pourquoi donc avoir préféré cette famille précisément ? J’imaginai ma mère, choisir l’endroit sur une liste, en se faisant la réflexion suivante « Je vais éviter de dépayser mon fils. Il habitera dans une région rurale, comme à la maison ! ». Oui, voilà, c’était sûrement ça.
J’observai mon environnement avec dégoût. Toutes ces fermes. Tous ces champs. Un vrai cauchemar. Pourtant, c’était ici qu’elle décida d’arrêter la voiture. Précisément, devant une ferme, accompagnée de son petit jardin et d’une cour intérieure. Nos pieds foulèrent le gravier, et nous fîmes quelques pas, jusqu’à s’immobiliser devant la porte d’entrée. À mon grand désespoir, je suivis du regard son doigt, s’appuyant sur la sonnette. Impossible qu’elle me laisse ici. Non. Je pouvais encore faire marche arrière. Ce séjour, il fallait l’annuler ! Que ferait-elle, si je ne parlais pas allemand ? Que ferait-elle, si je ne me rendais pas à ces cours intensifs ? Que ferait-elle, si je ne sortais pas ? Si je ne faisais rien, tout simplement ? Oui ! C’était cela, la solutio…
— Applique-toi durant ces six semaines Florian, c’est avec tes économies que ce séjour a été payé après tout.
— QUOI !?
— Nous n’avions pas les moyens de faire autrement !
Je serrai les poings. Elle avait osé utiliser mon argent, pour une connerie pareille. C’était enragé, que je m’apprêtai à déverser, dans un cri, toute ma haine. Mais la porte, s’ouvrant alors, m’en dissuada. Un quinquagénaire se tenait devant nous. Il portait une salopette avec des bretelles brunes, qui lui donnait un air de grand ourson. Sa moustache jouait avec le grand sourire – un peu niais - qu’il nous adressait. Ma mère et cet inconnu se mirent à discuter en allemand, pendant que nous entrions dans sa ferme. À l’intérieur, je distinguai quelques photos sur les murs, pour la plupart, des agriculteurs posant fièrement devant des champs, le tout en noir et blanc. Et je m’évadai. Encore. M’imaginant dans une autre réalité. Loin d’ici. Ma mère s’arrêta de parler avec le quinquagénaire et se mit à lui serrer la main. Elle se tourna ensuite vers moi, en lançant, la voix crispée :
— Bon, Florian…
Je la regardai avec étonnement, la laissant m’enlacer dans ses bras, sans y croire encore vraiment.
Mais, quelques secondes plus tard, je n’entendis plus que le moteur de sa voiture vrombir au loin, sur la seule route du village. Elle était partie. Me faisant difficilement une raison, je tournai la tête vers le propriétaire. Il s’avança, la mine grave. Je ne dis rien. Il tendit sa paume vers moi. Et, alors que je m’apprêtai à le saluer, il me lança avec entrain :
— Ich heisse Friedrich !
Cela voulait dire qu’il s’appelait Friedrich. Quel prénom. J’essayai de lui répondre, avec difficulté.
— Ich…… heisse…….. Florian.
— Oh !? FLORIANE ?
— Heu… non non, Flo…..riAN
— Flo….rrrrian !!!
N’ayant pas le courage de le corriger davantage, je le laissai me parler très longuement en allemand. Inutile d’expliquer, évidemment, ce que j’en comprenais en hochant la tête. Il fit une pause, puis de grands signes pour que je le suive. Je m’exécutai. Nous visitions l’appartement de Friedrich. Cette ferme était composée de trois étages, distincts, appartenant chacun à un membre de la famille. Chaque porte, rongée par le temps, s’ouvrait en grinçant. L’une d’elles, menait à un placard à chaussure qui, une fois ouvert, nous laissait profiter d’effluves cumulés de pieds transpirants. Comme conseillé par Friedrich, mes baskets rejoignirent leurs pairs. Un peu dégoûté, je continuai de le suivre, jusqu’à la cuisine. C’était l’une des pièces principales de la ferme. Bien que classique, elle dévoilait toute la forêt à l’extérieur, donnant le sentiment d’être en pleine nature, loin de tout. La bulle de Friedrich, en somme.
Ce « père d’accueil » m’expliqua les règles de la maison à l’aide d’un petit papier, contenant les horaires de bus et les heures de repas. Il me confia aussi la clé de la ferme, en m’informant, solennellement, devoir le prévenir si je rentrais après 19h00. Mais que ferais-je jusqu’à 19h00 en Allemagne ? Pensai-je, dubitatif.
Et soudain, l’espoir. Je pus déceler, à ma droite, une petite pièce, avec un meuble, où dormait un clavier d’ordinateur. Le Graal ! Peut-être que ces six semaines allaient se passer plus vite que je ne le pensais finalement. Je sautai sur l’occasion :
— PC ? Heu… Internet ? Heu…
Il me regarda, puis haussa les sourcils, avant de s’écrier :
— COMPUTER ?????
Je risquai de hocher la tête à nouveau. Celui-ci me prit par le bras, pour m’emmener devant l’appareil. Il me montra ensuite, fièrement, un ordinateur poussiéreux. En me concentrant de toutes mes forces, j’essayai de le comprendre. Il m’expliqua avoir acheté cet ordinateur à sa fille, afin qu’elle puisse faire quelques exposés scolaires. Maintenant qu’elle avait grandi, la machine n’intéressait plus personne, surtout depuis qu’ils n’avaient plus Internet. En revanche, si je voulais l’utiliser, il n’y avait pas de soucis. Mais bien sûr, Friedrich…
J’entendis des pas derrière nous. En me retournant, j’aperçus le reste de la famille d’accueil. Sa femme se présenta à moi, ainsi que sa fille. Je me rappelai des paroles de ma mère, m’aidant ainsi à comprendre leur charabia. Le père journaliste. La fille, qui fait des études de médecine. La femme de Friedrich, qui s’occupe de la maison. Extasiée par ma présence, la femme de Friedrich me servit un verre de jus de pomme. Ils se tenaient ensuite là, tous les trois, en scrutant ma façon de goûter leur boisson. Et, lorsque mes lèvres touchèrent le liquide, je sus dans l’instant que le finir serait difficile. Ce n’était pas un jus de pomme comme les autres. Elle avait ajouté du gaz à l’intérieur ! Du…Jus de pomme…Gazéifié !! Je fronçai les sourcils. Comment disait-on « QUAND AS-TU PENSÉ QUE C’ÉTAIT UNE BONNE IDÉE DE METTRE DU GAZ DANS DU JUS DE POMME ! » en allemand ? Je ne le savais pas, malheureusement. Bon sang, quel était leur problème à ces Allemands. Entre l’immense chope de coca et maintenant cela, j’avais peur pour la suite.
D’un air bienveillant, Friedrich me guida vers le dernier endroit visitable, à savoir, ma chambre d’accueil. Je m’aventurai donc dans la pièce, composée d’un lit simple, un petit bureau, une armoire et… C’est tout. Il continua de me parler en allemand, sans que je ne comprenne quoi que ce soit. Puis, ferma la porte derrière lui, me laissant seul dans ma nouvelle cellule.
Je déposai le bout de papier qu’il m’avait donné sur le bureau, sans y prêter plus d’attention. Les horaires de bus, de cours, ou quoi que ce soit d’autres ici ne m’intéressaient pas. Je saisis ma valise, pour la jeter sur le lit. Lentement, je l’ouvris, découvrant ainsi son contenu. C’était sans grande conviction que je l’avais préparé. Toutes mes affaires avaient été placées de façon hasardeuse à l’intérieur et, remarquant mes habits froissés, je regrettai soudain ma nonchalance maladive. J’y trouvai, également, une enveloppe, accompagnée d’un « À dépenser judicieusement » sur sa face avant. À l’intérieur, 800€. Tiens, mon argent, j’avais presque oublié.
Je me laissai tomber sur le lit, en soupirant. Qu’est-ce que je faisais ici, seul et entouré d’inconnus ? Ah oui, il y avait aussi cette classe que je devais rencontrer demain. J’imaginais déjà le scénario se reproduire. La cour « des perdus ». Avoir un style, obligatoirement. Les castes. Les moqueries. Subir, subir, subir. Toujours. Encore. À chaque fois. Rah ! Je relevai la tête. Personne ne me connaît ici, songeai-je alors. Comment pourraient-ils savoir ce qu’il m’était arrivé ? Mon état d’esprit ? Demain allait être une longue journée, mais je pouvais faire en sorte d’être discret. Je pouvais être… Quelqu’un d’autre. Je fixai alors l’intérieur de ma valise avec attention. Oserai-je seulement…
Depuis combien de temps était-il au fond de ce gouffre ? Après avoir essayé, sans succès, de se détacher des chaînes qui le retenaient là, il s’était résolu à supporter sa condition. L’ambiance était étrange depuis l’apparition de son alter ego. Quelque chose le troublait.
— Hey !
— Quoi ?
— Pourquoi tu n’as pas de lunettes ?
Il se mit à ricaner de façon narquoise, ne prenant pas la peine de se retourner, trop occupé, à analyser Florian face à sa valise. Il prit la parole.
— Tu sais pourquoi il reste fixé là ?
— Parce qu’il est triste !
Il pouffa de rire.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.
— Regarde attentivement la valise !
Il s’exécuta, en s’éloignant des murs froids, pour découvrir l’écran à son tour. Puis, il comprit.
— Il...
— Oui. Il les a pris avec lui.
Il quitta des yeux la scène, laissant ainsi son double arrogant s’enthousiasmer sur le vrai monde. Il s’assit à nouveau. Saisissant ainsi le vide sombre, par lequel il était tombé. Il ne comprenait pas Florian.
— Pourquoi ne le remarque-t-il pas ?
Son double resta silencieux.
— Pourtant, il le sait, n’est-ce pas ?
Il se détourna de l’écran, en lui adressant un cinglant « De quoi tu parles !? ».
— Nous sommes coincés ici. Quoi qu’il arrive. Pour toujours.
Sans prêter attention à cette remarque, il reprit son observation, les mains derrière le dos, tandis que l’autre posa sa tête contre la paroi. Puis, le silence revint, à peine perturbé, de temps en temps, par le bruit métallique, des chaînes qui les détenaient là…
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